Box-to-box: Milieu de terrain complet dont le volume de jeu et l’activité l’amènent à évoluer de sa surface jusqu’à celle de l’adversaire, défendant autant qu’il attaque (Les cahiers du football – Lexique tactique)
Printemps 2003, un jeudi. Daniel Ducarme, Ministre-Président et Michel De Herde, échevin des sports annoncent à la presse la rénovation prochaine du stade du Crossing. Les conclusions positives d’une étude de faisabilité du projet permettent de débloquer un budget pour une étude architecturale. Le Crossing de Schaerbeek est à l’époque un terrain boueux entouré de tribunes totalement délabrées. Ni la commune ni la Région n’ont les moyens de financer la rénovation totale qui se chiffre à près de 15 millions d’euros. Alors Michel De Herde a une idée: concéder le stade à l’Union Belge de Football afin que celui-ci soit d’intérêt national et, ce faisant, puisse être rénové aux frais du fédéral, plus précisément par le fond Beliris (à l’époque “Accord de coopération” -Un fond fédéral dont le but est de permettre à Bruxelles d’assumer son statut de capitale, notamment par la construction d’infrastructures). L’accord de gouvernement a fait tomber Beliris dans le giron des socialistes depuis 1999 et c’est Laurette Onkelinx, Vice-Première Ministre, qui préside la structure. Daniel Ducarme, flanqué d’Alain Courtois et d’un accord avec l’Union Belge de Football obtiendront la promesse d’Onkelinx pour le financement du projet.
Les clubs en danger de mort
A l’époque, deux modestes clubs de niveau provincial, le FC Kosova et le Racing Club de Schaerbeek ainsi qu’une quinzaine d’équipes de jeunes évoluent dans le stade. Lorsque Abobakre Bouhjar, un des piliers du Racing de Schaerbeek, apprend la nouvelle par la presse, il est furieux: les clubs n’ont pas été concerté et le projet risque de mettre son club ainsi que ses 300 jeunes à la rue.
Les relations à l’époque, hautement conflictuelles, entre le Collège communal et le Racing Club sont le fruit d’animosités personnelles, professionnelles mais aussi idéologiques entre le pouvoir communal et les dirigeants du club. Et parmi ces “clubmen”, il y a Abobakre Bouhjar, la forte tête, le plus intransigeant.
Dès le moment où il apprend la nouvelle, il fonce au cabinet de la ministre. Sur place, il exige de la rencontrer sans délais, menaçant de ne pas quitter les lieux tant qu’il n’aura pas obtenu satisfaction. Du haut des marches de l’escalier, Laurette Onkelinx se demande ce que ce jeune en survêtement de sport, casquette de l’Olympique de Marseille vissée sur la tête, veut bien lui vouloir.
L’entretien se passe en présence de Rachid Madrane, à l’époque membre de son cabinet. Bouhjar leur expose le péril qui pèse sur le Racing et ses équipes de jeunes et prévient: le club ne se laissera pas faire et ils sont prêts à prendre les armes pour le maintenir.
Interloquée, Onkelinx lui explique que les choses ne lui ont pas été présentées de cette manière par Daniel Ducarme et Alain Courtois, qu’on ne lui a jamais parlé des équipes de jeunes. Elle lui promet qu’en l’état, les choses ne se passeront pas sans concertation avec les clubs et qu’une solution sera trouvée.
Elle décide ensuite d’envoyer ses conseillers sur place afin de vérifier les dires de Bouhjar. Quelques jours plus tard, Rachid Madrane, accompagné d’un membre du cabinet viennent faire un tour sur place. Ils tombent sur une centaine de joueurs durant un jour de tournoi et sont stupéfaits par le nombre de jeunes, de parents ainsi que par l’encadrement sur place.
Sans plus attendre, Onkelinx bloque le projet et ordonne au bureau d’étude A2RC en charge du projet de réunir autour de la table les clubs afin de prendre en compte leurs demandes et de les associer au projet de bout en bout. Les clubs résidents, reconnus comme parties-prenantes sont, de fait, préservés d’une expulsion du stade.
Grâce à ce coup de force, Abobakre Bouhjar apparaît d’emblée comme le sauveur du club. L’affaire s’ébruite et elle contribue à le faire entrer dans une nouvelle dimension au niveau local: il passe du simple agitateur à celui d’interlocuteur incontournable dans le dossier de la rénovation du stade du Crossing.
Bien qu’homme engagé, ce fils de syndicaliste avait toujours refusé tout engagement au sein des partis politiques. C’est le libéral Daniel Ducarme, en 2000, qui tentera le premier d’embrigader cet énergique éducateur du service prévention suivi des PSC Denis Grimberghs et Clotilde Nyssens. À ces derniers venus le recruter au sein même des bureaux du club il déclinera en leur précisant “qu’ici on recrute des joueurs, pas des politiques.”
Ce n’est qu’en 2003 qu’il finira par adhérer à la section socialiste sur l’insistance d’Onkelinx et de Madrane. Il leur sera d’ailleurs d’une précieuse aide sur Schaerbeek à l’occasion de la campagne pour les élections fédérales de juin 2003. Il organisera l’accueil en grande pompe de la ministre à l’occasion de plusieurs événements et prêtera main forte, à l’aide de son réseau et des cadres du club, aux équipes de campagne de la ministre sur le nord de la capitale.
S’ensuivront les régionales de 2004 durant lesquelles il apportera son soutien à Rachid Madrane. Ce dernier fera son entrée au parlement bruxellois grâce notamment à un score non négligeable sur Schaerbeek.
Après le départ d’Alain Hutchinson pour le Parlement Européen, la section de Schaerbeek se retrouve sans chef de file. Indésirable à Bruxelles-Ville, Onkelinx cherche un nouveau point de chute dans une grosse commune bruxelloise.
Deux propositions s’offrent à elle: la succession de Philippe Moureaux dans un fauteuil à Molenbeek ou la bataille incertaine de Schaerbeek. Faire basculer la deuxième commune de la Région Bruxelloise au profit du PS est une priorité pour la fédération bruxelloise: il faut corriger cette anomalie statistique qu’est Schaerbeek.
Les socialistes pensent qu’il suffira d’un gros format pour faire basculer cette commune. C’est très mal connaitre ce village d’irréductibles que de penser qu’un simple parachutage, fusse-t-il en phase avec la sociologie de la commune, pourra déloger les figures locales. Alain Hutchinson et Daniel Ducarme en ont fait l’amère expérience. L’insistance de Moureaux mais aussi l’accueil chaleureux et le soutien des militants locaux sont déterminants: elle choisira de faire le pari schaerbeekois.
Entre-temps, Bouhjar rejoint le cabinet du Secrétaire d’Etat Emir Kir. Il s’occupera des matières sportives en tandem avec Jamal Ikazban. Il étoffera son bagage, déjà très solide à l’époque, et ne cessera de dévorer, même après son départ, toutes les matières liées aux sports et tout spécialement le football, dont il devient, à l’instar du Woluwéen Eric Bot, d’Alain Courtois ou encore d’un Jamal Ikazban, l’un des meilleurs spécialistes sur la capitale.
Entrée dans l’arène
Élu aux communales de 2006, il fait son entrée au conseil dans une ambiance de guérilla: Onkelinx, qui a la défaite amère, engage ses conseillers dans une guerre de tranchées à l’occasion de chaque conseil. Des tonnes de questions et interpellations sont déposées. Elles sont débattues de manière virulente, provoquant des échanges brutaux et des polémiques à n’en plus finir. Certains conseils finiront à 4h du matin.
Dans ce climat hostile, Bouhjar se trouvera être dans son élément et ne manquera jamais une occasion de mettre le feu, menant la vie difficile, voire parfois insupportable à certains échevins de la majorité.
Il n’hésitera pas à orchestrer des coups de force au sein même du conseil communale, comme ce jour du mercredi 28 octobre 2009 où il fera envahir la salle du conseil par les joueurs des clubs sportifs et leurs parents afin de forcer la commune au renouvellement des conventions d’occupation ainsi qu’à l’installation de vestiaires temporaires.
Il reste encore aujourd’hui, avec l’élu PTB, l’homme politique local le plus à même de provoquer des rassemblements en faveur de certains dossiers. Mais à la différence de ce dernier il ne se complaît pas dans la posture: il agit parfois de manière constructive pour régler les problèmes qu’il soulève, quitte à en faire profiter la majorité. Négociation au niveau des clubs résidents, mise en œuvre des chèques-sports, etc., c’est sans aucun doute l’un des conseillers de l’opposition qui peut se vanter de présenter l’un des meilleurs “bilans” en terme de réalisations de par ses interpellations mais aussi par sa contribution à des solutions auxquelles il apporte, souvent dans l’ombre, son concours.
Michel De Herde tempère: “Durant sa première législature, il a été à l’image de l’opposition du groupe socialiste tout entier, à savoir d’une grande mauvaise foi doublée d’une agressivité déplorable. La seconde partie de cette législature a été plus constructive, sans doute dans l’espoir d’une participation au pouvoir.”
Participation au pouvoir. Le mot est lâché. Car s’il est vrai qu’il s’est révélé redoutable opposant, Abobakre Bouhjar n’en ressent pas moins, tout comme ses coreligionnaires socialistes, la lassitude de ceux qui ont fait le tour de la question. Autant la perspective de mettre la main dans le cambouis de la gestion obnubile cette génération qui n’a connu que les bancs de l’opposition, autant celle de continuer leur séjour dans cet abîme de l’inaction les rebute. Georges Pompidou ne disait-il pas que “passer sa vie dans l’opposition est pour un homme politique ce que serait pour un poète se condamner à lire et à juger les vers des autres” ?
C’est donc avec prudence et tact que Bouhjar et la section socialiste s’avancent vers ce scrutin dans l’espoir de faire leur retour aux affaires et par la même occasion, la démonstration de leurs capacités de gestionnaires.