J’ai un avantage sur les politiques : eux, ils sont publics, moi, je suis populaire
Diego Armando Maradona
Un vendredi de mars 2003, place des Bienfaiteurs, le “Galion”, un de ces cafés “melting-pot” à cheval entre le haut et le bas de Schaerbeek, fréquenté par une clientèle issue des différents quartiers que compte la commune. Accompagné d’un ami, Emir Kir entre. Il est pressé. Échevin de l’enseignement à Saint-Josse, l’homme est en pleine campagne pour les législatives. Il discute quelques minutes au bar avec un homme d’une cinquantaine d’année. Reconnu par un groupe de jeunes assis plus loin, il interrompt sa conversation et va spontanément les saluer. Jeunes socialistes de la section de Schaerbeek, ils sont à l’époque mobilisés en faveur d’Onkelinx, tête de liste à la chambre.
D’emblée, ils sont surpris par la pudeur, la retenue et la politesse de Kir. Le contraste avec les autres hommes politiques locaux qu’ils côtoient à l’époque est net. Ils proposent à Kir de venir débattre en section sur l’enseignement en présence de Mohamed Lahlali, échevin de l’enseignement à Schaerbeek et feu Nadine Neglemann, déléguée syndicale et institutrice. Agréablement surpris, il acceptera. Ils seront les premiers à l’inviter au sein de la section schaerbeekoise et décideront dans la foulée de rediriger l’ensemble de leurs efforts vers la candidature de Kir pour le reste de la campagne.
Retour au Galion. Kir reprend sa discussion au bar. A la fin de celle-ci, l’homme serre chaleureusement la main de Kir en l’enveloppant des siennes. Il l’assure de son soutien et semble ému, voir marqué. Un peu comme celui qui mesure l’importance de la mission à confier sa voix à un homme promis à un destin d’exception. L’homme, pensent les jeunes qui continuent d’observer la scène, doit sans doute avoir des liens, voire un intérêt direct à apporter de son soutien, mais c’est bien plus que cela: il est séduit. Car à cette époque, Emir Kir séduit déjà : une esthétique soignée, un peu gendre idéal, une allure raffinée agrémentée d’une gestuelle et d’une parole précieuse (précieuse car économe, un peu à la manière d’un Pacino dans le Parrain de Coppola: pas un geste ou un mot plus haut que l’autre). Une apparente monotonie dans l’attitude générale mais qui, assemblée au reste, donne tout son sérieux et sa force au personnage.
Tiré à quatre épingle, costume et cravate de rigueur, Kir sait, tout comme ses concurrents, que l’impact dégagé par un costume business bien porté n’est pas négligeable, encore plus au sein de sa communauté d’origine. Que les mêmes gestes et les mêmes mots, vêtu d’un impeccable complet, raisonnent différemment aux oreilles et dans les cœurs de ceux qu’il veut toucher. Cette année-là, il obtiendra plus de 7500 voix de préférences aux élections fédérales sans être élu mais le sera l’année suivante aux Régionales avec ses 7409 voix réalisées du fin fond de sa 17éme place sur la liste. Il sera alors désigné secrétaire d’Etat à la Propreté publique, aux Monuments et aux Sites. Il héritera également de l’Action sociale, de la Famille et des Sports comme ministre à la Cocof.
Saint-Josse en ligne de mire
A l’automne 2004, les manœuvres débutent à Bruxelles en vue des communales d’octobre 2006: Philippe Moureaux propose à Kir de prêter main forte à Laurette Onkelinx sur Schaerbeek. L’homme refuse: le pari est trop risqué. Faire tomber Clerfayt n’est pas une mince affaire, et puis, il a déjà l’esprit tourné vers Saint-Josse : il veut “sa” commune. Il sait qu’il est nécessaire, encore plus au PS qu’ailleurs, d’avoir un solide fief afin de peser suffisamment dans sa fédération et ce faisant, de s’épargner le risque d’être mis en difficulté en cas de fortes perturbations. Lors de ces communales de 2006, Kir dépassera Jean Demannez en voix de préférence (1635 contre 1591) et déjà, des voix se feront entendre afin qu’il prenne ses responsabilités.
Aux législatives de 2010, Emir Kir, pourtant 4éme derrière Mayeur et Laanan, frappe encore plus fort: 17294 voix, dont un score impressionnant de plus de 8000 voix sur les communes de Schaerbeek, Evere et Saint-Josse, s’offrant au passage le luxe de dépasser sur ces trois cantons des calibres comme Bernard Clerfayt ou Charles Picqué.
Au niveau de son activité ministérielle, il aura laissé un bilan plus que correct: mise en place du tri sélectif, raccourci des procédures en matière d’urbanisme, création des chèques sports, ouverture des journées du patrimoine vers les quartiers populaires, soutien aux clubs sportifs, refinancement de la politique de formation professionnelle et surtout la construction et la rénovation, plus que tout autre ministre avant lui, de nombreuses infrastructures sportives un peu partout dans la capitale. 35 terrains synthétiques pour le football, le rugby, le hockey et de nombreuses salles omnisports seront construits ou rénovés.
Kir aura contribué faire de la compétence « Sports », jusqu’alors parent pauvre de la politique régionale, une matière à part entière dotée de réels moyens, notamment au travers d’un plan pluriannuel d’investissement qui permettra d’injecter près de 15 millions d’euros dans la construction et la rénovation de ces infrastructures.
S’attelant à gérer le suivi de ces dossiers de manière rigoureuse, il s’appliquera à assurer la qualification de tous les dossiers susceptibles de bénéficier de ces investissements, allant jusqu’à harceler les communes les plus nonchalantes afin qu’elles introduisent leurs demandes.
La conquête
Au lendemain des législatives de 2010, Kir s’organise en vue des communales. Tant dans le cadre de ses compétences régionales qu’au travers de ses relais, l’accent sera discrètement mis sur Saint-Josse, dont il quadrillera soigneusement le terrain.
A l’aube des communales de 2012, il parvient à un accord avec Jean Demannez sur le partage du poste de bourgmestre: dès la fin de son mandat de ministre, Jean Demannez démissionnera et cédera le poste. Mais le manque de confiance entre les deux hommes ainsi que les déclarations contradictoires, voire hostiles de Demannez durant la campagne convainquent Kir de reconsidérer la situation à quelques jours du scrutin: il souhaite être intronisé bourgmestre et laisser Demannez faire fonction jusqu’à son retour en 2014. Ce dernier refuse. Kir réalise alors qu’il devra passer en force au risque d’attendre encore six longues années car rien n’oblige Demannez à lui céder le poste dans le cas de figure prévu initialement.
Au soir des communales, les chiffres sont sans appel: Emir Kir totalise 1916 voix de préférences, bien plus que les 1215 de Jean Demannez. Il se lance alors dans une course contre la montre afin de convaincre les conseillers socialistes et humanistes de signer l’acte de présentation qui l’intronisera à la tête de la commune.
Les pressions du Boulevard de l’Empereur ainsi que les incessantes injonctions des figures du parti l’irritent: pourquoi ce que l’on trouve tout à fait normal dans les autres communes ne s’appliquerait pas dans son cas à lui? Les voix de ses électeurs auraient moins de valeur que celles de Demannez? Pourquoi l’obliger à abandonner, lui, son poste de ministre alors que les autres ténors cumulent allègrement les fonctions de bourgmestre empêché et de ministre?
Parmi toutes ces voix qui lui demandent de renoncer, il y en aura une pour l’aider à tenir, et pas n’importe laquelle, celle du seul ténor du parti à l’avoir toujours soutenu: Philippe Moureaux. Ce dernier l’encouragera à tenir bon et à se saisir sans délais du mayorat. Mis devant le fait accompli, les Ardiçlik, Jabour, Medhoun et autres Namli finiront d’apposer leur signature à l’acte de présentation. Emir Kir est bourgmestre.
Demannez et le vote ethnique
La pilule est dure à avaler pour Demannez qui, amère, se repend dans les médias en accusant Kir de communautarisme. Mais la critique est facile de la part d’un homme qui sait pertinemment que le vote ethnique est une réalité qui a été facilitée et renforcée par les pratiques de son propre parti.
Aussi, ce fameux « vote ethnique » mériterait à être relativisé. N’est-il pas une tendance, naturelle, spontanée et humaine à porter son adhésion vers des gens qui nous ressemblent et auquel nous pouvons nous identifier. Nous le faisons tous, consciemment ou non. Belge de plus longue date ou non. Demannez l’admettra lui-même lorsqu’il dira au Journal Télévisé de la RTBF: “c’est normal, les petits belges votent aussi pour les petits belges“.
Kir s’impose donc au forcing. Il se saisit de la plupart des matières visibles et stratégiques tout en attribuant un nombre important aux fidèles Boikete et Azzouzi. De son coté, Mohamed Jabour, qui est pourtant loin d’avoir démérité aux finances, se contentera des espaces verts et de la propreté publique. Le fameux Kadir Ozkonacki reçoit les sports et la petite enfance et le partenaire cdH se contente d’un seul échevinat malgré ses cinq sièges. Le nouveau bourgmestre compose donc son collège de manière large, veillant à y intégrer ou à garder des proches de Demannez.
Dans la foulée, il annonce la fin des clans au sein de sa section locale mais il n’empêche: sa manière est perçue comme brutale par la fédération et le Parti, dont il braque une partie de l’appareil contre lui. Mais Kir a l’habitude d’avancer face au vent. Aussi déconcertante que puisse paraître son ascension, celle-ci ne fut pas de tout repos: il a dû batailler ferme dans les instances de son parti et croiser le fer face à certains ténors afin de s’imposer. La question de la reconnaissance du génocide arménien fut également une sérieuse peau de banane sur laquelle essaieront de le faire glisser nombre de journalistes et adversaires (après leur avoir donné lui-même le bâton il est vrai). Kir mettra fin à la polémique en votant le 23 juillet 2015 à la Chambre en faveur de la résolution belge sur la reconnaissance du génocide.
Cette conquête du mayorat, tant dans la manière que dans le symbole, a permis à Kir de prendre une dimension politique et emblématique d’un niveau jamais atteint par un homme politique bruxellois issu de l’immigration. Aux yeux de nombre de ses électeurs, il est celui qui a réussi son ascension sans courber l’échine ni édulcorer ses origines.
Il dira souvent, avec cette fierté de ceux qui refusent de montrer patte blanche, “J’ai toujours refusé d’être une victime“. Cette image d’homme fier et irréductible plait assurément à cette jeunesse bruxelloise en quête de reconnaissance et de considération. Elle les conforte dans l’idée qu’il est possible pour un fils d’ouvrier turc d’arriver au sommet, la tête haute tout en restant fidèle à ses racines. Des racines qu’on leur demande du reste de cacher, voire d’abandonner dans l’espoir d’une hypothétique intégration. Une intégration que la masse d’entre ceux qui gonfle les files du chômage et des bureaux d’intérim attendent toujours après trois, voir quatre générations de présence dans la capitale.
Le jour de sa prestation de serment comme bourgmestre, Kir ira au cimetière de Saint-Josse rendre hommage à son modèle politique: Guy Cudell. Il aura sans doute été saluer un autre modèle, bien vivant celui-ci: Philippe Moureaux. Un homme de qui il aura hérité de la conception du rôle d’élu proche de sa population (trop proche diront certains) et qui incarne, comme Guy Cudell, cette ouverture et cette bienveillance (pour ne pas dire cette préférence) vis-à-vis des populations les plus fragilisées de sa commune.
Les grandes chantiers
Le nouveau bourgmestre prend donc ses fonctions et annonce d’emblée à ses équipes ce qu’il attend d’eux. Il leur explique qu’ils sont au service de la population et qu’à ce titre aucune demande, quelle qu’elle soit, ne doit rester sans suite. Il leur annonce que le ménage sera fait au niveau des anciennes pratiques et qu’il entend bien à ce que tous, tant élus que fonctionnaires, soient d’une intégrité sans faille. Se sachant attendu au tournant au moindre faux pas dans sa commune, il exige une rigueur et une correction absolue dans les dépenses. Enfin, il leur fait part de son ambition pour la commune: il veut la reconstruire et la faire rayonner. Dès lors, il entend à ce que chacun donne le meilleur de lui-même.
Kir débute son mandat devant des défis budgétaires et administratifs colossaux: budget déficitaire, personnel, services et tâches mal reparties, taxation déficiente, gaspillages, etc. Les défis politiques ne sont pas moins nombreux: propreté, mobilité, voirie, équipements collectifs, logements, écoles.
La situation financière de Saint-Josse début 2013 est telle que la commune semble se diriger tout droit vers la faillite, voire une mise sous tutelle. Le bourgmestre commence par mettre de l’ordre dans les procédures administratives et budgétaires. Il instaure une discipline budgétaire drastique: aucun article budgétaire ne peut être dépensé à plus de 50% avant les six premiers mois, évitant par de là de revenir avec d’incessantes majorations qui finissent de faire exploser la facture au moment des comptes.
Il crée une cellule juridico-administrative afin d’améliorer l’enrôlement des taxes. Cette véritable “task force” aura pour mission de tout « screener » afin de permettre un enrôlement optimal: surfaces des bureaux non enregistrées, bien immeubles “oubliés”, enseignes, dispositifs publicitaires, débits de boissons, etc. La taxe sur les bureaux, en deçà du niveau régional, est augmentée. Certains services et régies, comme celle des travaux, sont internalisées. Les investissements immobiliers sont rationalisés et les dépenses énergétiques de la commune fortement diminuées.
Grâce à ces mesures, l’équilibre budgétaire sera atteint avec une année d’avance. La commune se permettra même un très léger mais ô combien symbolique boni à l’occasion du budget 2018.
Au niveau des mesures politiques, l’action de Kir sera marquée par deux constantes: la recherche effrénée de tous les moyens possibles pour sa commune et le besoin d’innover dans la recherche de solutions.
Il commence par la propreté et lance le plan 7 sur 7 qui permet aux rues de cette commune densément peuplée et très traversée d’être nettoyée 7 jours sur 7, de 7h à 20h (au lieu de 8h30 à 15h30 précédemment). Les corbeilles en rue passent de 200 à plus de 360, la commune se dote de balayeuse mécanique et autres camion-bennes flambant neufs et des cendriers sont installés aux abords de bâtiments officiels et horeca. Une journée annuelle de mobilisation « nettoyage de printemps », incitant les habitants à sortir les balais et les seaux d’eau, et y associant les fonctionnaires et les élus, est lancée. C’est d’ailleurs un véritable cortège de travailleurs de la propreté, d’habitants, de fonctionnaires et d’élus qui s’activent dans certaines rues de Saint-Josse à l’occasion de cette journée de sensibilisation.
Au niveau des crèches, les places sont quasi doublées, permettant à Saint-Josse de passer au-dessus de la moyenne régionale en termes de taux de couverture. Un travail proactif est réalisé au niveau des primes à la rénovation: près de 330 primes en 2016, 400 en 2017, au bénéfice de demandeurs dont plus des trois quarts sont à faibles revenus, sont introduites (contre 18 précédemment!). Les chèques sport passent de 100 à 250€ et sont accordés sans distinctions entre travailleurs et non-travailleurs, 380 enfants en bénéficieront (le FC Saint-Josse passe d’ailleurs de 200 à 400 enfants inscrits en 3 ans grâce à cette mesure). La carte de stationnement pour les riverains passe, elle, de 30 à seulement 5 euros (elle finira de devenir gratuite en 2018).
Les attestations, telles que les compositions de ménage, les certificats de résidence et de nationalité, les extraits de casier judiciaire et les actes de naissance, deviennent, quant à elles, tout simplement gratuites et les cartes d’identités, passeports, et autres permis de conduire deviennent les moins chers du pays.
A ces mesures qui visent à soulager le budget des familles et à offrir de nouveaux services à sa population, le bourgmestre ajoutera une mesure phare, surprenante et que beaucoup de ménages bruxellois imaginaient utopiques: la gratuité des garderies pour les 1300 élèves des écoles communales fondamentales. L’accueil durant les congés scolaires sera également gratuit. La mesure n’est pas anodine car elle permettra une économie pouvant aller jusqu’à 600 euros par an et par enfant. Du personnel d’accueil et d’encadrement sera recruté en nombre afin de soutenir la mesure et de renforcer le soutien scolaire dans ces écoles.
Au niveau des infrastructures et des voiries, des travaux de rénovation seront entrepris dans de nombreux domaines: construction de crèches, rénovation et sécurisation de nombreuses voiries et trottoirs (rue Vonck, carrefour Rivière/rue Verte, place Houwaert, place Rogier et Madou, etc..), extension d’écoles, de jardins (dont la création d’un jardinet avec une scène, un coté horeca et des toilettes publiques rue de la limite/rue Josaphat), rénovation du stade et des bains de Saint-Josse, nouveaux commissariat de police, nouvelle antenne du CPAS ainsi que l’acquisition d’un nouveau bâtiment de 3000 m² pour l’administration à la rue Royale. Un dépôt-atelier qui permettra l’assemblage de son propre mobilier urbain sera également acquis par la commune. Sortiront de ces ateliers d’élégants potelets agrémentés du blason doré de la commune ainsi que des bacs à fleurs destinés à être installés dans toutes les rues de Saint-Josse.
Au niveau culturel, le bourgmestre décide de doter sa commune d’un véritable centre culturel qui puisse permettre aux habitants et aux associations de disposer d’une véritable salle de spectacle et d’exposition. Le cinéma “le Marignant” et sa chapelle attenante sont acquis. Ce grand ensemble de près de 2200 m² abritera une Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale qui comprendra une salle de spectacle et de conférence de 420 places, un lieu d’exposition, plusieurs salles polyvalentes et des bureaux. Y sera aménagée une Maison des enfants aux multiples activités, des locaux collectifs modulables pour les associations de quartier et un restaurant pédagogique. Le projet intégrera également la création de logements à vocation sociale.
Tous ces chantiers ont été possibles non seulement grâce à une maîtrise rigoureuse des dépenses et une meilleure perception des recettes mais surtout grâce à l’acharnement du bourgmestre et de son équipe à ratisser tous les subsides possibles, et ce, à tous les niveaux. Région, Communautés, Fédéral ou encore Européen, tout ce qui peut être financé par un budget hors de celui de la commune sera exploité.
Saint-Josse passe dés lors d’avant-dernier à numéro un en termes de commune “consommatrice” de subsides au niveau régional. Les relais du bourgmestre ainsi que l’efficacité des équipes mises en place pour “traquer” et utiliser judicieusement ces moyens y sont assurément pour beaucoup.
En moins d’une législature, Emir Kir aura su mettre en pratique les meilleurs aspects de ses deux mentors: la capacité d’un Philippe Moureaux à débusquer tous les moyens possibles pour sa commune et celle de mise en œuvre de politiques originales et de solutions innovantes d’un Guy Cuddel.
D’eux, il aura également hérité du sens de l’autorité et d’une certaine conception du rôle de bourgmestre: celle du “Bürgermeister”, le “Bourg-Maître”, le maître du bourg, celui qui règne sans partage sur sa contrée mais aussi celui dont le rôle est d’apporter aide, solutions, voire bonheur à ses administrés. Son maître-mot? “Quand nous pouvons le faire, nous le faisons”. Tout simplement.
Cette attitude volontariste se retrouve dans bon nombre de mesures prises par le bourgmestre qui refuse de sortir le parapluie institutionnel ou politique s’il peut agir par lui-même: des ralentisseurs de vitesse doivent être installés sur une voirie régionale? Les demandes de la commune restent sans réponses? Usant de ses prérogatives de bourgmestre en charge de la sécurité, il les fait installer par sa commune sur fond propre. Les voiries régionales sont insuffisamment nettoyées? La Région ne bouge pas? Il les fait repasser par les agents du service propreté de la commune.
Compétences régionales, fédérales? Peu lui importe, le bourgmestre et son administration sont là pour servir, répondre aux demandes et pourvoir aux besoins. C’est le fil conducteur de son action et il entend bien capitaliser sur les résultats de celle-ci pour s’installer durablement à la tête de son fief et le marquer de son nom.
L’échappée
Entre-temps, Kir creuse l’écart face à l’ensemble des gros formats de son parti à l’occasion des élections législatives de 2014. Avec ses 18.536 voix il dépasse Rudy Vervoort, pourtant tête de liste à la Région, et s’offre le luxe de laisser dans son rétroviseur le fameux “Monsieur Bruxelles”, Charles Picqué. Il entre alors au parlement fédéral.
Celui dont les voix représentent alors près de 16% de l’ensemble de l’électorat socialiste à Bruxelles, réalise qu’il a un rôle à jouer au sein du parti, un rôle qui dépasse le cadre de sa simple commune. Mais il se retient bien de lancer les grandes manœuvres car après tout rien ne presse: pourquoi jouer des coudes quand votre irrésistible ascension électorale suffit à écarter les prétentions de vos concurrents? Il suffit de continuer à dérouler, et d’attendre.
Fort de ses voix et de la stabilité de son électorat, Kir représente assurément ce que la gauche du parti a produit de plus efficace et à même de tenir tête à la nébuleuse conservatrice au sein du PS Bruxellois. Il possède le poids, l’énergie et surtout le logiciel nécessaire (merci Moureaux) à la construction d’un réseau, voire d’une tendance (sans doute en tandem avec un Ahmed Laaouej ou encore une Fadila Laanan) qui puisse garder le parti proche des intérêts et des préoccupations des classes populaires de la capitale.
Á gauche toute
En termes d’image publique au sens large, celle de Kir a souffert de la polémique à propos du génocide arménien. Elle l’a initialement coupé des progressistes au sein de sa formation mais celui-ci, de par ses positions, ses initiatives et ses interventions dans l’actualité sur des thèmes chers à la gauche du parti a retrouvé grâce aux yeux de nombre d’entre eux.
Même si ce positionnement s’avère profitable pour Kir, il est loin d’être feint: rôle de l’Etat, sécurité, fiscalité, immigration: le curseur idéologique du bourgmestre de Saint-Josse est clairement à gauche. Et ses actions concrètes en faveur de ceux qu’il considère comme les plus fragilisés sont nombreuses, comme son refus, lorsqu’il était secrétaire d’Etat à la propreté, du sac payant (contre l’avis de nombreux mandataires de sa propre formation), son intervention en faveur des sans-papiers (qui organiseront même une manifestation inédite pour remercier la commune pour son accueil et son hospitalité), la réduction du temps de travail pour les plus de 55 ans au sein de sa propre commune et surtout cette fameuse mesure des garderies gratuites.
Une mesure qui ne vient pas de nulle part pour ce fils d’ouvrier mineur qui se rappelle avec une certaine amertume de ses camarades de classe dont les parents, de maigre condition, ne pouvaient s’offrir le luxe d’une garderie payante. C’est d’ailleurs avec une certaine émotion qu’il annoncera cette mesure dont le but sera d’atténuer les difficultés que rencontrent les familles dans ce terreau des inégalités qu’est l’école. Kir est convaincu que l’école – vraiment – gratuite reste le plus puissant ascenseur social. Avec cette mesure, il est persuadé qu’il montre la voie, et que d’autres suivront.
Forte volonté
Mordu de sport, Emir Kir garde la forme et se veut d’une condition physique optimale, bien utile pour tenir la distance et conserver une certaine allure toute au long des journées passées à la commune, au Parlement fédéral ou encore durant les nombreux événements qui rythment ses soirées et ses week-end.
S’exprimant dans une interview de l’European Professionals Network il précise: “On ne peut pas être bon si on est pas bien dans son corps. Prendre soin de soi, c’est être mieux avec les autres. Si on a quelques défaillances, on n’est pas bien, on va se déprécier”. Mieux avec les autres afin qu’ils vous le rendent par du soutien mais aussi, sans doute, de l’affection, beaucoup d’affection. Dans la même interview il dit: “Nous (politiques) devons éviter d’être une charge, un poids, être utile, essayer de faciliter le monde dans lequel on évolue”. Il ajoute : “Quand vous êtes dans cette logique, on vous désire, on vous réclame”.
Lorsqu’il répond à une autre question à propos de la peur et du découragement chez les jeunes à pouvoir s’accomplir, Kir livre une réponse intéressante dans laquelle il semble se reconnaître, voir s’adresser au jeune Emir: “Quand on est jeune, on a cette question terrible: est-ce que je vais être à la hauteur de ma vie?”. Il ajoute: “Cette question vous poursuit pendant des années, il y a la pression de l’âge, la pression du moment”. Il termine, toujours à propos de ces jeunes auxquels il s’adresse “Je leur demande d’y croire, de ne pas se décourager. Chacun a une place sur terre. Et je leur dis que pour arriver à cela il faut une forte volonté”.
Forte volonté donc. Il n’est pas utile de faire asseoir Kir sur le divan pour cerner cette extraordinaire volonté qui l’habite, une volonté de puissance au sens nietzschéen du terme: une forte ambition couplée à une exigence inouïe envers lui-même et qui semblent animer tous les volets de son existence: il veut atteindre les sommets et accomplir sa destinée, celle de sa place sur terre, et la réaliser au plus vite.
Mais que Kir se rassure: les pères ne cessent jamais d’accompagner de leur présence bienveillante les fils méritants jusqu’à ce que ceux-ci accomplissent leur destinée, celle de leur place sur terre. Ce n’est qu’une fois leur tâche accomplie, qu’ils s’en vont pour de bon.