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La victoire revient à celui qui tient le dernier quart d’heure
Carl von Clausewitz, De la guerre
En découvrant la une du journal “La Capitale” ce matin du vendredi 17 mars 2006, les militants FDF de Schaerbeek sont sous le choc: Jean-Pierre Van Gorp, le populaire échevin, “leur” Jean-Pierre, est passé au PS. L’homme de terrain, cheville ouvrière de tant de réalisations (L’opération Bouton Blanc, la renaissance du carnaval et de miss Schaerbeek, la création du « Schaerbeek Infos » ainsi que la fameuse venue du roi Pelé à Schaerbeek), l’homme des célébrations, des bains de foule et des ambiances festives les abandonne. Et il le fait pour l’ennemi socialiste à six mois des communales! Le choc fait place à l’amertume suivie d’une grande colère dans les rangs des amarantes et de leurs alliés libéraux.
Jamais un transfert, pratique courante dans cette commune mouvementée, n’avait suscité autant de réactions hostiles que celui de Van Gorp. Certains éléments donnent à ce transfert un caractère particulièrement violent: Van Gorp était un “enfant du pays”, aimé par les militants locaux et apprécié des fonctionnaires. Son image était du reste solidement associée au trio formé avec Bernard Clerfayt et Michel De Herde.
Cette trahison sera le véritable point de départ d’une campagne hors-norme. Il n’y aura dès lors aucun répit jusqu’au jour du scrutin.
“Faire du Van Gorp”
Jusque-là le trio se répartissaient les rôles avec succès: à Clerfayt le gouvernail, à De Herde la stratégie et à Van Gorp le terrain. Avec le départ de Van Gorp, l’équipe perd son élu “4×4”, celui dont le contact avec la population était comme une seconde nature. Van Gorp aime tout simplement les gens, qui le lui rendent bien. Au contraire d’un Clerfayt, qui n’a, à cette époque, ni le goût ni la patience pour les causeries autour de la dernière visite chez le vétérinaire du chien de madame Michu.
Le bourgmestre réalise qu’il devra, de ses propres mots, “faire du Van Gorp”. Alors il se lance: voyages, promenades avec les pensionnés, goûters, barbecues, brocantes, marchés, événements sportifs, culturels etc. Et il le fait avec d’autant plus d’ardeur, qu’en dehors de l’aspect politique, il est profondément affligé par la trahison de son compagnon de route. Et c’est dans ce sentiment d’amertume mêlé à celui d’adversité qu’il puisera l’énergie qui lui permettra, comme un Van Gorp des belles années, d’aborder avec frénésie et une authentique chaleur tous les électeurs qu’il croisera durant plus de 6 mois.
Du coté des militants et des candidats, la consternation et l’abattement feront place à une mobilisation désespérée. Et ils n’auront de cesse de se battre, galvanisés par un Clerfayt aux accents churchilliens qui, du fond de l’abîme en ce début du mois de mai 2006, ose prophétiser: “Parce que nous méritons de gagner, nous gagnerons!”.
Survoltés, refusant la fatalité de la défaite annoncée, ils seront dés lors animés par la plus puissante des transcendances: celle de la rébellion. Beaucoup finiront ivres de fatigue dans les derniers jours de la campagne.
“100% Schaerbeek”
Schaerbeek est une commune qui marque ses habitants de manière particulière. Le sentiment d’appartenance y est très fort, plus que toute autre commune bruxelloise. Á Schaerbeek, on a conscience du privilège de vivre dans une entité distincte des autres communes de la capitale, avec ses charmes, ses belles avenues, ses parcs, son imposant Hôtel de Ville ou encore ses nombreux lieux de dégustation et de fête. Malgré le panorama et la sociologie très variables d’un endroit à l’autre, ce sentiment se retrouve chez les habitants de tous les quartiers, des quartiers aux populations, aux ambiances aux styles urbanistiques très différents, mais empreints du même sentiment de satisfaction, voire de fierté à être schaerbeekois. Un sentiment qui touche également très vite les nouveaux habitants.
C’est sur ce sentiment que le bourgmestre va s’appuyer pour engranger, à l’aide de son slogan “100 % Schaerbeek”, le soutien massif des électeurs. Un sentiment que les stratèges des états-majors politiques ont toujours eu du mal à intégrer lorsqu’il s’agissait d’élaborer leurs plans de conquêtes de la commune. Ce que Philippe Moureaux et d’autres grands formats n’ont pas compris, c’est que les schaerbeekois votent avec leurs têtes et leurs sensibilités politiques lors des élections régionales et fédérales mais que c’est avec leur cœurs qu’ils vont aux urnes lorsqu’il s’agit de leur commune, et qu’à cette occasion, seuls les enfants du pays trouvent grâce à leurs yeux.
La Liste du Bourgmestre sera composée de manière très fine. En plus des gros formats (Cécile Jodogne, Bernard Guillaume, Etienne Noel, Michel De Herde, Sadik Koksal, Georges Verzin, Sait Kose), des candidats de petite stature mais aux réseaux distincts apporteront de précieuse voix issues des poches d’électeurs qui leurs sont propres (Angelina Chan, Larbi Kaddour, Filiz Gules, Mohamed Echouel, Yvan de Beaufort, Mohamed Reghif, etc…). Chacun aura comme consigne de travailler son pré carré et ses réseaux, de ménager les écolos et surtout, de dualiser la campagne auprès des électeurs sur base d’un choix très claire: Onkelinx ou Clerfayt.
Les territoires les plus disputés seront ceux des quartiers populaires dans lesquels le PS puise sa force au travers de son électorat issu de l’immigration marocaine et turque. Clerfayt sillonnera sans relâche ces quartiers avec Michel De Herde et Etienne Noel. Ce dernier va, par de précieux relais développés dans ces quartiers populaires, briser les réticences de nombreux électeurs traditionnellement acquis aux socialistes. Les hommes de Nöel mèneront la vie dure aux socialistes dans le fameux “triangle d’or” (Place Pavillon-Cage aux Ours-Place Pogge) ou encore le quartier de la gare de Schaerbeek, les empêchant de dérouler de manière trop confortable dans ces bastions rouges.
Une équipe aura même pour mission de suivre les déplacements d’Onkelinx sur le terrain afin d’y repasser aussitôt et de battre le fer, encore chaud, des sentiments des électeurs qu’elle aura rencontré.
En plus de la légitimité schaerbeekoise, la Liste du Bourgmestre utilisera l’épouvantail Molenbeek: la commune de Philippe Moureaux sera présentée comme un exemple de ce que les socialistes entendent faire de Schaerbeek en cas de victoire. Un ingénieux dépliant en forme de cocotte en papier dans lequel le vote Ecolo ou cdH sera présenté comme un choix en faveur d’Onkelinx, sera également d’un impact non négligeable. Autre argument efficace martelé tout au long de la campagne: le vote “Laurette” est inutile car la vice-première ne siégera tout simplement pas. Et pour finir d’ajouter à la tension, Onkelinx sera taxée par Clerfayt de “Zheyun Ye de la politique belge”, de ce mafieux chinois qui truquait les matchs du championnat de football, référence au débauchage de Van Gorp et au trucage de l’élection par le pré-accord.
Printemps de Prague du comité PS
Du côté socialiste, la venue d’Onkelinx se passe dans un premier temps sans accroc. Celle-ci désire rassembler toutes les forces vives et ouvrir sa liste à plusieurs candidats indépendants. Mais très vite, sa garde rapprochée s’immisce entre elle et les principales figures de la section. Tant dans la stratégie qu’au niveau du casting de la liste, ceux-ci imposent leurs vues de manière unilatérale aux militants. La sénatrice Sfia Bouarfa, une des figures de la section, se retrouve marginalisée. Les dents grincent.
Laurette Onkelinx n’est pas une tacticienne, c’est un général en campagne, une pasionaria qui préfère la force de l’enthousiasme à celle de la stratégie, une fonceuse qui s’appuie sur la fidélité sans faille de son cercle plutôt que sur les accommodements et les compromis avec les autres, fussent-ils plus éclairés. Laurette, c’est la blitzkrieg sans prisonniers, le jusqu’au-boutisme fait femme. Et jusque-là, ce tempérament lui a permis d’engranger les victoires auxquelles elle doit son ascension. Elle n’a donc aucune raison de douter de ses choix et de ceux de son équipe. La section est donc priée de se ranger derrière la stratégie établie par son entourage, dont Yves Goldstein, Ridouan Chahid et Abess Guenned constituent la “task force” en vue des communales.
En panique, le président de la section, Eddy Courthéoux, fait part à la ministre de la nouvelle. Furieuse, elle sort de la séance plénière du parlement fédéral, saute dans le véhicule conduit par son chauffeur et fonce à toute allure en direction de la section.
L’Audi A8, gyrophare sur le tableau de bord, arrive moins de 30 minutes plus tard. La ministre bondit du véhicule et pousse la porte de la section de la rue Rubens et là, les oreilles sifflent: elle s’emporte, crie, menace. Les visages, déjà pâles, finissent de se décomposer. Personne n’a le droit, ni encore l’envie de défendre son point de vue: les membres du comité sont tout simplement terrorisés. Elle leur intime l’ordre de revoter la liste sous ses yeux. Ils s’exécutent la peur au ventre et avalisent la liste malgré le vote à bulletin secret. Elle sera ensuite validée par l’assemblée générale dans la soirée et présentée le lendemain à la presse au Magic Land Theatre. Étouffé dans l’œuf, le soulèvement fut de courte durée.
Le PS lance donc sa campagne amputé d’une partie des militants qui ont contribué aux succès des législatives de 2003 et des régionales de 2004: les jeunes socialistes, des figures de différents comités de quartiers et d’autres membres actifs d’associations à l’impact non négligeable. Certains, par dépit, rejoindront même l’équipe de soutien au bourgmestre. Ces défections pèseront lourd au moment du décompte final.
Briser l’accord à tout prix
Les premiers sondages arrivent fin du printemps 2006. A la question “qui voudriez-vous comme bourgmestre?“, un sondage du journal “La Dernière Heure” donne Clerfayt à 25% suivi d’Onkelinx à 20%. Un autre sondage du journal “Le Soir”, effectué sur un panel bien plus large, envoie Clerfayt à 28% suivi de Durant à 20% et enfin d’Onkelinx à 18%. Pour le bourgmestre, ces chiffres ne sont pas d’un grand secours dans l’optique d’une lutte contre les trois formations coalisées, mais au moins le confortent-ils dans l’idée qu’il reste dans la course et surtout, qu’il peut continuer à espérer.
Les chiffres sont encourageants et la tendance de plus en plus favorable au bourgmestre à l’approche du scrutin. Bien que confiant sur la victoire de sa liste, Clerfayt doute encore qu’il pourra obtenir le nombre de sièges suffisants pour bloquer la formation d’un olivier. Alors il ne cesse d’envoyer des signes, de contacter, directement ou indirectement les différents partis de l’olivier afin de les pousser à se rallier à lui.
La campagne agressive de certains candidats socialistes, ainsi que les révélations sur l’appartenance à une mouvance nationaliste turque de l’un des leurs, indisposent fortement Ecolo et le cdH. Clerfayt essayera de s’engouffrer dans cette brèche pour faire éclater leur pré-accord à quelques jours du scrutin mais rien n’y fait: les verts et les humanistes ne veulent rien entendre.
Une semaine avant le vote, il tente encore de convaincre les socialistes de conclure, ce qu’ils refusent catégoriquement. Désespéré, il multiplie, encore et toujours, sans succès, les contacts vers les trois partis. Il va jusqu’à s’inviter à quelques jours du scrutin à la soirée électorale des socialistes organisée dans la salle de la piscine du Neptunium. Un militant se souvient: “Clerfayt est entré et très vite il s’est retrouvé seul, confus, au coin de la salle. Il a salué Sfia Bouarfa et a demandé à rencontrer Laurette pour discuter“. L’entourage de la ministre lui opposera, comme toutes les autres fois, une fin de non-recevoir.
J-2, le cdH ne donne pas non plus suite aux dernières sollicitations de Clerfayt. Milquet rappelle à Denis Grimberghs qu’il y a un accord à respecter. Le match semble définitivement perdu. Clerfayt est au bord du précipice.
j-1, lueur d’espoir: Durant appelle Clerfayt. Sur ses gardes, celle-ci ne veut pas se faire doubler par Onkelinx en cas d’olivier trop court. Ils s’accordent sur le fait de se contacter les premiers vers 17h00. D’ailleurs des promesses de se contacter “avant les autres” auront été faites dans tous les sens par les lieutenants des quatre têtes de listes afin de s’assurer un contrôle des négociations, chacun voulant éviter d’être le dindon de la farce en cas de scénario imprévu. Mais à ce jeu-là, c’est Isabelle Durant, qui sera la plus roublarde, ou sournoise selon les points de vue.
Le jour le plus long
Jour J, les premiers chiffres tombent vers 16h. La Liste du Bourgmestre est donnée à 25 sièges. Les militants jubilent: ils ont la majorité absolue. Mais de minute en minute, ce nombre diminue. Il est déjà redescendu à 24 sièges lorsque Clerfayt décide d’envoyer un sms à Durant pour lui proposer de se voir plus tôt que prévu. Pendant qu’il compose son message, son GSM sonne, c’est Isabelle Durant: elle propose, impatiente, de se rencontrer.
A 17h00, Durant arrive. Elle dresse avec Clerfayt les contours d’un accord sur base des projections et s’en va vers ses lieutenants. Il est 17h30 et la Liste du Bourgmestre est déjà redescendue à 23 sièges. Clerfayt n’a plus la majorité absolue. Le stress gagne son équipe. Le bourgmestre, qui souhaite assurer ses arrières, contacte alors le cdH.
Durant revient vers 18h15 accompagnée du conseiller communal Mohamed El Khattabi et de l’échevine Tamimount Essaidi. Ils tombent d’accord avec Clerfayt sur les détails d’un accord définitif et retournent vers leur section afin d’obtenir l’aval des militants.
Les humanistes Denis Grimberghs et Clotilde Nyssens arrivent alors vers 19h00. Au moment où Clerfayt leurs fait face, son téléphone sonne: numéro inconnu, c’est Laurette Onkelinx. Le bourgmestre s’excuse auprès de ses hôtes et se retire dans une pièce. Onkelinx lui annonce ce que tout le monde sait: elle a un accord. Elle lui explique qu’elle a sa majorité et qu’il doit rendre les armes. Clerfayt lui rétorque que l’olivier ne tient pas car il a 24 sièges. Elle insiste: il en aura nettement moins car les bureaux restant à dépouiller se trouvent dans des bastions socialistes. S’ensuit une bataille d’arguments pour convaincre l’un et l’autre de jeter le gant jusqu’au moment où ils tombent d’accord pour se voir à 20h30.
Il revient vers Grimberghs et Nyssens. Il leur annonce un accord imminent avec Ecolo et leur propose un échevinat. Clotilde Nyssens est d’avis pour conclure mais pour Grimberghs, c’est non: il a un accord et doute que les Ecolo oseront trahir leur parole. Du reste, il a convenu avec Durant de ne pas bouger tant qu’ils ne se seront pas mis d’accord ensemble sur la marche à suivre. Un lieu de rendez-vous fut même fixé trois jours auparavant afin d’y consolider une position commune. L’oliver tient d’ailleurs toujours dans les chiffres. Ils s’en vont.
19h30 – Une conseillère de la ministre appelle Clerfayt: elle lui annonce qu’Onkelinx est retenue et qu’elle viendra vers 21h00 seulement. À cet instant, Clerfayt est envahi par le doute. Ses lieutenant passent alors tous les coups de fils qu’ils peuvent en direction de tout ce qui compte au niveau régional afin d’avoir des informations, de peser sur le cours des événements mais rien n’y fait: tous les grands barons sont occupés dans leur communes, certains leur font même comprendre qu’il est inutile de lutter.
Il est alors 19h50, la Liste du Bourgmestre a fini de retomber à 22 sièges depuis plus d’une heure, les écolos ne sont toujours pas revenus de leur assemblée et Durant ne répond plus aux appels de Clerfayt. Chez la Liste du Bourgmestre, le stress fait place à un léger vent de panique.
Dans une pièce de l’Hôtel de Ville, la télévision diffuse les images d’Onkelinx, Di Rupo et Thielemans au boulevard de l’Empereur fêtant la prise de Bruxelles-ville ET de Schaerbeek. Dans la pièce, les mines se désagrègent. Clerfayt commence à intégrer l’impensable: il a peut-être perdu. Avec ses 24 sièges, l’olivier d’Onkelinx est techniquement suffisant pour siffler la fin du match. Ne lui resterait alors plus qu’à choisir le wagon dans lequel lui seront imposés les termes humiliants de la reddition sans conditions.
Du côté de la garde rapprochée d’Onkelinx, on est confiant: il y a l’accord et les écolos tiendront parole. Simons a d’ailleurs été un des grands artisans de cet accord. C’est même une question de survie pour Ecolo et singulièrement pour Simons. Un Simons qui a très vite compris qu’au regard des résultats à Bruxelles-ville en 2003 et 2004, les écolos n’étaient plus indispensables à l’attelage PS-cdH et qu’il fallait un accord contraignant de part et d’autre pour le maintenir au pouvoir.
Isabelle Durant avait même initié la première, bien avant les manœuvres de Moureaux, des discutions avec le cdH sur la possibilité d’un olivier (sans doute dans l’idée que le Mayorat pourrait lui revenir à l’époque). Onkelinx a du reste eu Durant au téléphone autour de 17h30: cette dernière lui a confirmé que tout irait bien et que ce n’est qu’une question de temps pour convaincre les siens.
Mais le mutisme des autres élus écologistes inquiète certains socialistes. Abbas Guened tente de joindre l’écolo El Khattabi, d’autres socialistes tenteront de contacter Tamimount Essaidi mais aucun ne réussira: ceux-ci font les morts sur injonction de Durant.
Les socialistes Jean-Pierre Van Gorp et Abobakre Bouhjar, étonnés de la passivité de l’entourage d’Onkelinx, foncent alors en direction de la maison communale et là, c’est le drame: ils aperçoivent Isabelle Durant, Tamimount Essaidi et Mohamed El Khattabi, revenus de leur assemblée générale, qui s’apprêtent à entrer. Affolés, ils contactent l’entourage de la ministre.
Quand Clerfayt et son équipe voient arriver Durant, leurs visages, comme frappés par la grâce, s’illuminent: Ecolo a dit oui.
Tout au long de l’assemblée générale des verts, des écolos de la capitale, ayant appris la nouvelle du retournement en cours à Schaerbeek, auront imploré Durant et son entourage de prendre le temps d’analyser leurs intérêts au niveau régional avant de conclure à Schaerbeek. La ministre Ecolo Evelyne Huytebroeck lui enverra encore un sms quelques instants avant le début des négociations avec Clerfayt: “Arrête tout, il faut d’abord se voir.” Mais Durant n’en tiendra pas compte.
Les négociations débutent alors vers 20h15. La signature de l’accord sera rapide: trois échevins et la présidence du CPAS pour Ecolo, sept échevinats et le poste de bourgmestre pour le PRL-FDF. L’acte de présentation est aussitôt signé par les élus de Clerfayt et remis à Durant mais rien n’est encore fait tant que tous les élus d’Ecolo ne l’auront pas signé à leur tour, et il faut faire vite car Onkelinx est en route.
Ne laissant décidément rien au hasard, Durant fera signer dans les minutes suivantes ses élus qu’elle aura pris le soin de rassembler à proximité de l’Hôtel de Ville.
L’acte est alors présenté au secrétaire communal qui, ébahi (celui-ci s’attendait à un tout autre scénario), le contresignera. Clerfayt a sauvé sa couronne.
Aseptisée par le coup de fil de Durant et loin de se douter qu’un accord a été scellé, Onkelinx arrive vers 21h00 seulement. Elle a appris que Durant était à la manœuvre avec Clerfayt mais demeure convaincue que la secrétaire fédérale ne se risquera pas à faire voler leur accord en éclats, et que celle-ci n’a pris les devants que dans le seul but de s’assurer que les écolos ne soient pas mis à l’écart.
Alors qu’elle arrive à l’étage sous les huées des sympathisants du bourgmestre et part s’isoler dans la salle du Collège, Isabelle Durant l’appelle pour lui annoncer la signature de l’accord avec Clerfayt. La séquence de son arrivée sous les huées sera diffusée peu après sur le plateau de la RTBF, en présence de Durant ainsi que d’Elio Di Rupo et de Joëlle Milquet qui apprennent, estomaqués, l’échec de leur olivier. Autre élément peu remarqué: le sourire narquois de Didier Reynders en duplex de Liège à l’arrière-plan.
Di Rupo aura beau s’emporter, il porte également une certaine responsabilité dans le renvoi d’Onkelinx dans l’opposition à Schaerbeek. Car en fin d’après-midi, et alors que les résultats viennent à peine de sortir, Onkelinx va, sur injonction de Di Rupo, fêter sa victoire au Boulevard de l’Empereur. Le PS chute partout en Wallonie après les affaires carolorégiennes et Di Rupo souhaite orchestrer un coup de ‘com pour les journaux télévisés du soir: il veut mettre en avant ses rares victoire, notamment celles de Thielemans et d’Onkelinx sur les deux plus importantes communes de la Capitale.
Au lieu de s’assurer des signatures de ses partenaires, voire de conclure avec Clerfayt, elle aura été satisfaire le plan ‘com de son président et fêté, le bras levé par Freddy Thielemans devant les caméras, une hypothétique victoire.
Le temps des négociations aux communales n’est décidément pas celui des fédérales: chaque minute compte, et à Schaerbeek rien ne se passe comme prévu. La vice-première l’aura appris dans la douleur ce soir-là.
Les représailles
Ce coup de patte qui permet à Clerfayt de renverser le match dans les arrêts de jeux fait l’effet d’un coup de tonnerre ce soir-là. Le courroux d’Onkelinx s’abat sur les écolos et précipite les renversements d’alliances: les écolos sont évincés de la majorités à Bruxelles-ville (le soir même des négociations ils sont priés de quitter la table) ainsi que de nombreuses majorités dans la capitale.
Durant expliquera son retournement par une majorité olivier trop courte ou encore la présence d’un militant proche d’une organisation nationaliste turque. Mais le maintien absolu au pouvoir ou encore les considérations d’ordre relationnel auront bien plus pesé. L’excuse du nombre trop court de sièges invoquée par le parti qui en est la cause (Ecolo passe de 11 à 6 sièges) finit de donner à la décision d’Ecolo un caractère manifestement opportuniste.
Au bureau fédéral du lendemain, Isabelle Durant essuiera la colère d’Henri Simons, Marie Nagy, Alain Daems ou encore Josy Dubié. Ce dernier ne mâchera pas ses mots à propos de la secrétaire fédérale: “Isabelle Durant s’est décrédibilisée. Elle a joué la carte locale, plutôt que son rôle de secrétaire fédérale. C’est une faute politique”. Simons réclamera même la démission de Durant à la tête du parti: “Isabelle devait tenir compte de l’intérêt global du parti. Elle ne l’a pas fait. C’est irresponsable. Elle doit en tirer les leçons. Des tas de gens demandent qu’elle se retire. Qu’elle fasse le geste ou on fera le vote !” Un coup de téléphone leur apprendra en plein bureau qu’ils sont également éjectés d’Ixelles. La raison ? Schaerbeek, encore et toujours Schaerbeek.
Josy Dubié pointera du doigt la stratégie bancale de son parti: “Chacun a négocié dans son coin. A Schaerbeek, on a agi seul. Mais à Forest aussi. Evelyne Huytebroeck a signé un accord de majorité avec le PS sans se demander si le fait qu’Ecolo y était incontournable ne pouvait pas servir de levier dans d’autres communes”.
Finalement, Durant tiendra bon et les ténors décideront de jouer la carte de l’apaisement. Le rôle de Schaerbeek sera minimisé: “l’impact de Schaerbeek est minime. La plupart des communes bruxelloises étaient bétonnées avant” dira Jean Michel Javaux. Mais cette affirmation ne résiste pas aux faits: Ecolo était aux affaires à Anderlecht, Berchem Saint-Aghate, Bruxelles-ville, Evere, Ganshoren, Ixelles, Jette, Molenbeek, Schaerbeek, Uccle et Watermael-Boitsfort. Après le coup de force de Schaerbeek, les écolos sont éjectés d’Anderlecht, Berchem Saint-Aghate, Bruxelles-ville, Evere, Ganshoren, Ixelles, Molenbeek, Uccle et se voit barrer l’entrée à Saint-Josse.
Les verts auront décidément payé très cher le retournement de Schaerbeek. Du côté du cdH, ses conseillers prolongeront leur bail dans l’opposition et les socialistes quant à eux, y entreront pour ne plus en sortir.
Le philosophe argentin Jorge Valdano, champion du monde 1986 et flamboyant exégète du football disait: “Gagner n’a de sens que si la supériorité morale est implicite, que si les ressources utilisées sont licites. Sinon la victoire n’a aucune valeur“. Assurément, celle de la Liste du Bourgmestre aura acquis une valeur proportionnelle à celle de l’humiliation subie par les conspirateurs de l’olivier.
La Liste du Bourgmestre aura eu beaucoup de chance, il est vrai, mais “la chance c’est quand la préparation et l’opportunité se rencontrent” disait le père de Justin Trudeau. Et une fois de plus, la chance fut du coté de Clerfayt. Elle n’a pu résister aux bras irrésistibles d’une préparation aussi optimale ni au sursaut rebelle de femmes et d’hommes résolus à refuser le sort qu’il leur était destiné.
Avec cette victoire arrachée par la force et l’intensité de leur engagement, ils ont écrit leur mythe, celui de l’une des plus grandes prouesses électorales de l’histoire du pays.